Avec son titre officiel de “City of Design” et ses titres informels de “capitale mondiale du street art” et “Mecque du graffiti”, Berlin est naturellement devenu un lieu de création pour des street artistes de tout horizons. Cette ville est unique dû aux divers modes d’expression artistique dans l’espace public. L’histoire du street art berlinois a débuté avec le Mur qui séparait Berlin-Est et Berlin-Ouest et a continué après son effondrement. Aujourd’hui, la ville offre une incroyable diversité et reste une référence essentielle en matière d’expressions urbaines. Les artistes l’ont compris et, au fil des années, de nombreuses figures de renom ont laissé leurs marques sur les murs. Toutefois, la ville a également donné naissance à une génération d’artistes locaux très prolifiques, des talents qui ont grandement contribué au développement d’une scène locale dynamique. Qu’ils viennent de Berlin ou non, nous allons dans cet article examiner brièvement la scène artistique berlinoise et les street artistes qui la compose.
XOOOOX
Présentons d’abord le maître du pochoir, XOOOOX, l’un des premiers artistes berlinois à s’être imposé sur le marché international de l’art. XOOOOX est devenu connu pour ses pochoirs monochromes représentant de jeunes et belles femmes, toutes accompagnées d’une signature formée de X et de O qui jaillissent de leur tête comme une bulle de pensée. Ses figures féminines apparaissent dans toute la ville et nous confronte au monde de la mode, aux normes de beauté et à l’idéologie capitaliste. Son travail est complexe car il est difficile de savoir si ses pochoirs sont un hommage direct au monde de la mode ou l’émanation d’un discours anticapitaliste. Cette dualité est la preuve du potentiel subversif du street art tandis que ses beautés solitaires et mélancoliques restent extrêmement accessibles.
LE MEILLEUR DU STREET ART CONTEMPORAIN – ALIAS
Artiste autodidacte, travaillant principalement au pochoir, Alias est souvent décrit comme le street artiste le plus actif de la ville. Présent sur la scène du street art allemand depuis le milieu des années 1990, Alias s’est distingué de ses pairs par son style reconnaissable instantanément, composé de figures noires et blanches, parfois stylisées par l’utilisation de couleurs rouges intenses. Alias se concentre sur le thème de la rudesse de la vie quotidienne, thème qu’il souligne habilement en choisissant toujours le bon emplacement pour ses œuvres et en exposant ses sujets vulnérables à l’environnement urbain hostile. Bien que ses messages soient subtils, l’artiste se soucie des enjeux sociaux et politiques d’aujourd’hui. Habituellement centré sur des expériences personnelles et intimes, Alias nous présente des personnages attachants qui semblent à la fois isolés et touchés par la société. Ses images, sombres et solitaires, ne peuvent qu’émouvoir les passants et font naître chez eux des sentiments de compassion et d’empathie.
El Bocho
A l’opposé de l’ambiance morne et sérieuse que provoquent les œuvres d’Alias, les collages d’El Bocho incarnent l’humour, la fantaisie et l’esprit coloré du street art. Originaire d’Espagne, El Bocho s’installe à Berlin et devient l’un des artistes les plus en vue de la ville. Il s’est tout d’abord fait connaître grâce à sa Little Lucy, personnage fantasque inspiré de la série télévisée “Little Lucy – Fear of the Streets”. Little Lucy est une jeune fille aux grands yeux coiffée d’un casque qui s’est vu confier une nouvelle mission: tuer son chat domestique par tous les moyens possibles. Amusante et attachante, cette fillette se retrouvera au cœur du travail d’El Bocho, qui s’est d’ailleurs surnommé Little Lucy pendant un temps. L’humour sombre qui domine les aventures de Lucy a été par la suite remplacé par une vision plus romantique au sein d’une autre série, “Citizen”, dans laquelle de belles femmes expriment leur amour pour la ville de Berlin. Grâce à ces deux séries, El Bocho a été salué pour sa maîtrise des collages et pour l’ampleur et la qualité de ses œuvres.
Mein Lieber Prost
Si vous vous promenez dans les rues de Berlin, il y a de grandes chances que vous tombiez sur de drôles de personnages qui ont l’air de vous sourire ou de se moquer. Vous pouvez être sûr d’avoir découvert l’œuvre de l’artiste berlinois Mein Lieber Prost. Grâce aux efforts de l’artiste pour que ses œuvres soient le plus vu possible et grâce à leur simplicité artistique qui les rende rapides à exécuter, les visages souriants de Mein Lieber Prost peuvent être retrouvés un peu partout dans la ville, cachés dans des endroits les plus inattendus. De simples contours noirs, parfois bleus, blancs ou rouges, les personnages de Prost provoquent où qu’ils soient une ambiance chaleureuse. Les petites figures rient à gorge déployée tout en pointant du doigt le public, établissant par ce geste une interaction directe entre l’œuvre et le spectateur. L’art public serait donc un moyen de faire participer le passant et cet aspect est particulièrement fort dans l’œuvre de Mein Lieber Prost. Même si ses personnages sont simples, il n’ y a aucune chance que vous passiez à côté et que vous ne vous demandiez pas de quoi il s’agit. Ses œuvres sont très proches de la caricature.
SP38
Né en France, l’artiste SP38 s’est installé à Berlin en 1995. En raison de la rapidité avec laquelle il crée ses œuvres et du caractère répétitif de son processus créatif, l’artiste est connu pour se désigner lui-même comme une “human copy machine”. Attiré par la scène du street art berlinois, connu comme un mouvement libre et spontané après la chute du Mur, SP38 se joint à de nombreux squats artistiques et acquiert une certaine réputation dans les rues grâce à ses affiches. SP38 est largement connu pour ses affiches blanches qui arborent de vigoureux slogans en couleurs primaires réalisés à l’aide d’une typographie gracile très reconnaissable. Ses œuvres reflètent souvent les transformations sociales et culturelles que la ville a connues depuis qu’il s’est installé à Berlin il y a vingt ans. Pour créer ses slogans, SP38 s’inspire de diverses sources extérieures, de la littérature à la politique en passant par des situations sociales de tous les jours. Il réussit ainsi à produire des œuvres provocatrices, ironiques et spirituelles qui éveillent l’attention de ceux qui passent devant, ouvrent des débats sur des sujets sociaux brûlants et suscitent l’engagement du public. Après tant d’années, SP38 est toujours parmi les street artistes les plus actifs à Berlin, dont les œuvres sont visibles un peu partout dans la ville.
Negative Vibes
Après SP38, que l’on peut qualifier de vétéran du street art berlinois, il est temps de jeter un coup d’œil à un jeune talent déjà exceptionnel. Negative Vibes a captivé l’attention de nombreux Berlinois grâce à ses délicats pochoirs en noir et blanc trouvés dans des endroits le plus souvent cachés et bien choisis. Le choix des sujets et de la technique rappelle dans une certaine mesure les œuvres d’Alias. Tout comme Alias, Negative Vibes représente généralement des enfants blessés, des adolescents déconnectés et des individus isolés. Mais là où Alias reste subtil dans son approche, Negative Vibes est plus direct car reproduit des états de peur, de souffrance et de solitude. Comme son surnom l’indique, l’artiste se concentre davantage sur les aspects les plus sombres de l’esprit humain, et l’atmosphère inquiétante qu’il dépeint est souvent renforcée par l’utilisation d’images démoniaques et de symboles occultes. Néanmoins, l’artiste en herbe a rejoint la lignée des grands pochoiristes locaux et il est certainement l’un des nouveaux artistes les plus intéressants en matière de street art berlinois.
Various & Gould
Après une série d’artistes qui préfèrent travailler seuls, il est temps de rencontrer un attachant duo d’artistes. Various & Gould travaillent ensemble depuis 2005 et sont devenus un incontournable de la scène du street art berlinois. Bien qu’ils utilisent souvent le papier comme médium pour des collages ou de la sérigraphie, Various & Gould n’aiment pas se limiter à un processus artistique unique. C’est pourquoi ils produisent aussi des installations, des compositions murales et des performances publiques. Various & Gould sont également connus pour explorer les différentes réalités sociales. Leurs œuvres se préoccupent aussi bien des questions sociales pressantes comme la migration, le chômage, la crise financière, que des questions culturels complexes comme l’identité, la politique de genre et la religion. Bien qu’ils soulèvent de sérieux questionnements, ils ont tendance à le faire d’une manière imagée et ludique qui révèle la beauté de la vie quotidienne. Dans les rues de Berlin ce sont leurs grands collages qui attirent le plus souvent l’attention des spectateurs et qui valorisent la scène du street art berlinois, déjà très polyvalente.
Alaniz
Alaniz, l’artiste d’origine argentine basé à Berlin depuis quatre ans, est le dernier de la liste mais non le moindre. Bien que sa participation à la scène du street art de la ville soit plutôt récente, il a rapidement attiré l’attention du public avec ses fresques qui en ont inspiré plus d’un. Alaniz ne considère pas son art comme étant directement lié à un quelconque agenda politique et social, en revanche il croit fermement au pouvoir de l’art public d’initier le dialogue et de mettre en œuvre le changement vers une société meilleure. Même s’il peint surtout de grandes fresques qui prennent plus de temps à exécuter que de simples interventions urbaines spontanées, il est intéressant de noter qu’il préfère créer des œuvres illégales sur des murs négligés généralement laissés à l’abandon. Attentif aux détails et conscient de l’importance du placement de ses peintures, Alaniz intègre magistralement ses œuvres dans l’environnement urbain en faisant d’elles des éléments presque organiques.